● Bucking Horse ~ Don Cavallone

Un cri, retentissant et puissant, cristallin cependant. Semble-t-il celui d'une dame? Souffrance ou surprise? On n'aurait pu dire. Puis un second, plus profond, plus déchirant aussi. Souffrait-elle? Vraisemblablement oui. D'énièmes hurlements déchirèrent le silence qui l'entourait. Une si belle femme, d'une élégance à faire pâlir les plus nobles. D'une blondeur, d'une telle magnificence, que le mal-être qu'elle exprimait ne pouvait que vous déchirez le cœur. Son visage, crispé par les contractions et les spasmes, n'en resplendissait pas moins, ne demandant qu'un soutien à son supplice; pourtant, personne n'était là.

Elle pleurait bruyamment. Entre chaque sanglot, elle bégayait le nom de celui qu'elle aimait; ça ne le ramena pas à elle. Les mains agrippées à son bas-ventre, toujours secouée par la douleur, entre ses lèvres, elle priait. Pour le bonheur de cet homme qu'il l'eut néanmoins abandonnée, pour le bonheur de celui à qui elle s'apprêtait à donner la vie. Hériterait-il de la beauté fraîche de sa mère, du charisme radiant de son père? Malgré le calvaire qu'elle avait de plus en plus de mal à supporter, Milena se plaisait à avoir ce genre de pensées; ou comment garder la tête hors de l'eau en pleine noyade.

Un instant, la géhenne fut si intense qu'elle eut cru rendre l'âme: les pupilles dilatées, le souffle court, elle n'en était malheureusement que guère loin. Elle devait s'y résoudre, dans ces conditions, sa survie ne tenait que du miracle. Mais c'était son choix: offrir sa vie à son enfant, selon elle, la plus belle des preuves d'amour. Et qu'importe, Il serait là, et s'occuperait de leur fils. Elle en était pourtant certaine.



Cette phrase, il la connaissait par cœur. Dite sous tous les tons, selon l'humeur, elle gardait continuellement ce goût amer qu'il haïssait. Elle faisait partie de son quotidien, aussi loin qu'il s'en souvienne, mais il ne s'y était jamais habitué pour autant. Enchainement de trois simples mots qui, pourtant, collés les uns aux autres, résultaient en une tirade écœurante. Et il avait beau se boucher les oreilles à chaque fois qu'elle était prononcée, elle lui parvenait toujours aussi distinctement, toujours aussi infecte.



Il espérait avoir là affaire à une phrase générique, qu'il n'était pas le seul à entendre perpétuellement, mais au fond, savait pertinemment bien que son père restait une exception, la pire qui soit. Quoiqu'il lui demandait, de la requête notable à la plus futile, aboutissait toujours la même réponse. Paroles qui, aux yeux d'un enfant, restaient la preuve d'une avidité manifeste; n'étant plus très loin de la vérité des actes.

Néanmoins, il avait conscience d'être un gamin gâté. Ne comptait plus le nombre de nurses qu'il avait pu avoir, les considérait toutes comme ses mères de substitution, sans faire de préférences. Les hommes de son père aussi, veillaient sur lui, et souvent, lui tenaient compagnie. Pourtant, rien de tout ça ne lui plaisait. L'opulence ne faisait pas son bonheur, il n'avait cure des tableaux inestimables qui paraient les murs de son manoir ou des limousines interminables qui le conduisait à l'école. Non, son rêve était bien plus modique que toute cette richesse bien trop affichée à son goût: avoir des parents. Commun des mortels direz-vous, mais tant recherché cependant. L'amour d'une mère, la présence d'un père, il n'y avait apparemment pas droit.



Il lui avait toujours bien spécifié que jamais il ne toucherait de près ou de loin au monde dépravé dans lequel ce dernier baignait: pourtant, il se retrouvait à faire son entrée à la Scuola di Mafia. Finalement, à cause de sa trop grande indulgence. Dino avait espéré que son père prendrait en compte son souhait: c'était trop en attendre de cet homme. A ses dires, son avenir était déjà tout tracé: il deviendrait, un jour ou l'autre, le Don Cavallone. Perspective qui laissait le concerné de marbre: cette postériorité ne lui était vraisemblablement pas destiné, pas au nase qu'il était. Dinul, déplorable surnom donné dès ses débuts dans cette école par ses camarades, ne reflétait que trop bien sa personnalité. Bon à rien dans toute sa quintessence, incapable ne serait-ce que de tenir debout, le blond était en quelque sorte le bouc-émissaire de son niveau, sans cesse hué et pointé du doigt. Et il avait beau ne pas avoir voulu emprunté un chemin semblable au leur ; condisciples comme lui destinés au même monde crapuleux; comme tout homme, il aurait aimé avoir leur respect.

Jusqu'à ce jour. Décisif, où débarqua chez lui un gamin, ce gamin. Celui dont son père lui avait si longuement parlé, celui qui était censé former Dino au métier de parrain. En toute honnêteté, ces paroles l'avaient fait doucement rire: qui aurait pu croire qu'un bambin d'un an à peine aurait été en mesure de lui apprendre la vie? Il se trompait lourdement.

En moins de temps qu'il ne lui eut fallu pour en prendre conscience, le Cavallone devint fort, très fort. Apprit à manier une arme tout aussi improbable que puissante: un simple fouet, offert par son professeur, le dénommé Reborn. Et gagna, rapidement, le respect et la reconnaissance de ses camarades. Insoucieux mais pourtant honoré des compliments auxquels ils avaient désormais droit, il était d'autant plus fier d'être comparé en facultés à Squalo, à l'époque jeune sabreur de génie, fréquentant la même division que lui. Il l'avait toujours admiré pour ses talents à l'épée, qu'il avait d'ailleurs été le premier à remarquer. Dinul était devenu le Cheval Ailé, enfin décidé et apte à devenir un jour, le Don Cavallone.



La première fois qu'ils s'étaient rencontrés, Dino avait eu l'impression d'avoir en face de lui le gosse qu'il était dix ans auparavant. Son comportement, sa façon de voir le futur, une parfaite réplique, si ce n'était le physique. Pourtant, malgré toutes les attaques qu'il avait pu lui lancer au premier coup d'œil, le blond l'avait remarqué: il ferait le meilleur des parrains, quoiqu'il en dise. Dès lors, l'italien avait décidé de le prendre sous son aile, pauvre oisillon qu'il était, grandissant si vite qu'il en devint vite bien plus puissant que lui: Tsuna, incomparable dirigeant Vongola à la bonté hors-norme. Celui qu'il disait comme étant son petit frère, en quelque sorte, celui qu'il n'avait jamais eu.



Après tout, il lui devait bien ça. Il avait accepté sans réfléchir d'entraîner un certain Hibari Kyôya, gardien de son frère d'armes, à la demande de Reborn pour disait-il, un affrontement inter-Vongola. Ce ne fut qu'après coup qu'il avisa: ce gosse n'était pas comme les autres, et cette formation tenait plus de la survie qu'au simple apprentissage. Un gamin quelque peu dissipé qui, à la moindre ouverture, se ruait sur son intitulé précepteur pour le, comme il le disait si bien, « mordre à mort ». Au fil du temps, Dino avait cessé de décompter le nombre de fois où il avait frôlé la mort en sa compagnie; elles étaient bien trop nombreuses. Et Kyôya eut beau vieillir; il resta toujours le gamin difficile que Dino avait connu.



Dix ans passèrent, beaucoup d'eau coula sous les ponts, beaucoup de sang aussi. Sous l'influence des Millefiore, le monde mafieux qu'il chérissait désormais s'était assombri. Trop de gens avaient disparus par leur faute pour que le Cheval Ailé ne réagisse; somme toute, c'était son devoir, protéger les siens.